Stati delle Anime.
Au contraire des registres innombrables, épais, courts et ventrus, c’est un grand format presque carré, fin et large. Plus proche ainsi par ses proportions d’un recueil de planches de Piranese que d’une bible ; mais pas pour autant comparable à quelconque atlas : la pliure centrale confère à l’in-folio une certaine indifférence raffinée trés précieuse.
Outre ses dimensions, il est d’autres particularités aisément décelables à l’observateur le moins averti, qui font de cet index mortuor un spécimen unique en son genre. Je veux parler de la couverture : en général, le mince carton ajusté par le relieur, loin de dissimuler, dévoile par sa nature le contenu des feuillets et la qualité du propriétaire (par exemple, le choix notarial de la toile façonnée de manière à imiter le cuir conférera aux collections de testaments et de donations, une fois alignées sur les rayons de l’étude, la juste élégance des plus fameux traités de bor- nage; ou bien encore, la peu professionnelle couture des registres paroissiaux noircis de la tendre précision des curés).
Eloigné de toute comparaison, notre livre est relié d’une matière pâle, presque blanche, trés différente cependant du parchemin doré dont les vénitiens aimaient l’usage ou de l’étrange peau duveteuse que les éditions modernes réservent aux néo-bibliophiles. La description de notre matière – de ce que l’oeil en perçoit – est difficile : on peut, tout au plus, en donner une impression située entre l’aspect de la gouache largement appliquée et celui de la face inédite d’un bloc de calcaire fraîchement scié.
L’imprécision est accentuée par une vitre légère, comme incluse, posée à la surface des deux plats de la couverture et dont la présence insolite nous prive des informations si utiles du toucher.
Réduits de la sorte à la seule observation visuelle – faculté éminemment personnelle, voire égoïste – s’impose à nous la nécessité de faire appel à la mémoire, aux sentiments vivaces du souvenir.
S’achèvent alors ici toutes tentatives de description, car l’assemblage des références est un jeu qui se pratique seul et dont les règles, la stratégie et le but varient à toutes les parties et selon chaque joueur.
Dans un dernier souci exhaustif de précision, il convient de mentionner, sans encore pouvoir l’expliquer, un curieux phénomène : dans certaines conditions d’éclairage, de position et d’inclinaison du livre vis-à-vis du regard, il est possible de distinguer, gravé au centre de la couverture, un étrange et admirable graffito: le profil de Mozart dessiné par le Rosso.
Paul Conte / Institut Français de Thessalonique 1994