Chapelle Saint Charles et Saint Claude
Saint Paul de Vence
Au Docteur Dominique Lafforgue, à sa chaude amitié sans laquelle je n’aurais pas pu vivre cette aventure formidable…
– Décorer une chapelle en 2012 ? demandez-vous avec la pertinence qu’on vous connaît…
Quelle que soit la liberté revendiquée par l’artiste, une obligation s’impose impérativement : la peinture d’église doit être narrative.
Cette exigence est dictée par l’histoire et la tradition. À l’extrême fin du VIe siècle, en 599, Séréno, évêque de Marseille, demande à Grégoire le Grand s’il peut faire représenter des images dans les églises (les fondements de la religion chrétienne, le christianisme dogmatique étaient, à cette époque, déjà bien implantés dans le monde romain ; cependant l’aspect purement cultuel et l’usage des symboles avaient encore besoin d’être précisés, normalisés). Saint Grégoire répond qu’il est nécessaire d’utiliser la peinture dans les églises afin de permettre aux analphabètes de lire sur les murs ce qu’ils ne sont pas capables de déchiffrer dans les manuscrits*. Cette injonction, une fois dépassé son aspect purement ecclésiastique, fut capitale : elle définissait, ni plus, ni moins, le rôle du peintre dans la société occidentale… Alors que la peinture de l’Antiquité se bornait le plus souvent à un aspect décoratif (il y a certainement une signification mystique aux Noces Aldobrandines, mais l’exemple est si rare, au milieu de tant de paysages, de jardins imaginaires et de grotesques à l’invention extravagante et à but uniquement ornemental), voici, d’un coup, d’un seul, le peintre promu maître de l’image, gardien de la mémoire (certes, il partage cette dernière fonction avec le chroniqueur, mais encore faut-il savoir lire pour se référer à celui-là…) ; le peintre observateur des faits et gestes du prince, des mœurs de la société… Le beau cadeau, en vérité, proposé par un des géants de la patristique à ces obscurs artisans ensembliers, faiseurs jusqu’alors de “petits mickeys”, en quelque sorte… Quel avenir grandiose, quelle immense perspective Grégoire a-t-il ainsi dévoilés à la culture occidentale : proposer au peintre une telle mission n’était-ce pas lui imposer d’avoir du talent, voire du génie ? Plus tard, beaucoup plus tard, l’invention de la photographie, et surtout sa vulgarisation, changeront irrémédiablement la fonction du peintre. Il ne lui sera plus assigné la nécessité du témoignage (le reporter s’en chargera avec, si ce n’est plus de crédibilité, du moins plus d’instantanéité), mais bien plutôt les manières allusives de la poésie. Le peintre serait-il redevenu le décorateur habile à distraire et à faire rêver ? Mais ceci est une autre histoire…
Le principe ainsi posé d’une peinture narrative, le sujet s’imposait par la double dédicace du monument : saint Charles et saint Claude**. Cependant, la stature de ces deux saints étant on ne peut plus dissemblable, je ne pouvais imaginer traiter pareillement les deux évocations. D’un côté, un grand personnage de la Curie romaine du XVIe siècle (c’est tout dire !), cardinal, archevêque de Milan, artisan important de la Contre Réforme, Charles Borromée. En “face”, saint Claude, évêque jurassien du VIIe siècle (604 (?)-699 (?)), dont on ne sait pas grand-chose (il est ignoré de La Légende dorée de Jacques de Voragine…). Une telle disparité entrainait une différence stylistique dans la narration même, ainsi que la création de deux modes d’évocations aussi distincts que furent les vies des deux protagonistes, leur personnalité et la trace laissée dans l’imaginaire (encore les images ..!), c’est-à-dire dans l’Histoire. À témoignages différents, styles différents… En presque un millénaire, non seulement la manière de peindre avait changé, mais aussi la façon de relater les faits, de rendre édifiante une vie d’homme, fut-elle d’un saint. Là où la représentation d’un évènement marquant, un symbole, suffisait certainement au spectateur du XVIe siècle pour enclencher les mécanismes de l’évocation, les épisodes complets d’une vie, ou du moins, une succession de séquences chronologiquement compatibles, étaient requis par le lecteur d’images du haut Moyen Age.

Évocation de saint Charles Borromée.
Cardinal, et archevêque de Milan, c’est le personnage vêtu de rouge.
Le thème principal constituant une sorte de suggestion libre et arbitraire d’une action de la vie de saint Charles (il en fit de nombreuses et très remarquables) : alors que la peste ravage Milan en 1576, Charles demande aux prêtres de revêtir la blouse des infirmiers : cette compétence devant assurément les aider à donner la communion aux pestiférés avec beaucoup moins d’appréhension que les prêtres non médecins, peu familiarisés avec la maladie et les techniques de prophylaxie…. Et comme en matière d’enseignement rien ne vaut l’exemple, l’archevêque en personne réconforte, soigne administre les sacrements aux malades (il sera suivi, quelques décennies plus tard, par Mgr de Belsunce lors d’une autre peste, celle de Marseille).
Le Pilier des enfants
“Je peux essayer ?” me demande une petite fille à qui je montre comment on prépare la couleur et comment on l’applique sur le mur… Ainsi le Pilier des enfants prit naissance par un beau et chaud matin du mois de Juillet 2012. Je recevais la visite des élèves de l’école primaire de La Colle sur Loup, localité voisine de Saint Paul de Vence. Accompagnés de leurs maîtres et de parents bénévoles, ils venaient voir un “peintre au travail” et, à l’initiative imprévue d’une petite camarade, ils se prirent au jeu, me demandant qui du jaune, qui du bleu, qui du vert… Cette participation improvisée des enfants (des enfants-visiteurs complétèrent l’œuvre tout au long de l’été) à la décoration de la chapelle en constitue pour moi, et pour beaucoup d’autres âmes sensibles, une des parties les plus émouvantes et précieusement conservées…
Enfin, dernière scène décorative de ce mur, les deux donateurs, Charles Raymond et Claude Barcillon (voir en annexe le texte de Mr René Vialatte**) présentent la maquette de la chapelle à un groupe d’ecclésiastiques (dont un cardinal, Charles, et un évêque, Claude).
Évocation de saint Claude.
Ainsi que déjà exprimé, j’ai ici fortement privilégié une narration et sa continuité. Mon sujet étant, non pas de rappeler un fait remarquable de la vie d’un grand saint, mais, m’inspirant de la manière des représentations médiévales, de raconter une vie, justement comme l’aurait fait Jacques de Voragine s’il ne fut pas, en l’occurrence, défaillant… La légende dorée… Légende, du latin legenda, chose qui doit être lue ; ça tombait bien !
De gauche à droite donc, la ligne du haut, puis celle du bas :
Épisodes de la vie de saint Claude, selon une chronique tardive : il naît à Salin en 604 d’une famille patricienne et chrétienne. Il est militaire à 20 ans. À cet âge, il quitte l’armée pour devenir clerc au chapitre de la cathédrale de Besançon, dont le siège épiscopal est occupé, en ce temps, par saint Donat. Passionné par l’étude des Écritures, il devient higoumène (à peu prés, chef des prêtres. Ce titre existe encore dans la religion grecque orthodoxe). Il refuse, par deux fois, lors d’indispositions de Donat, le trône épiscopal. Fait historique marquant, son entrevue avec le roi Clovis II, neveu du grand Clovis, roi de Neustrie et d’Austrasie, premier des Rois fainéants (on a affublé ces malheureux souverains mérovingiens de ce peu glorieux adjectif car ils préféraient se déplacer en chariots tirés par des bœufs plutôt qu’à cheval, dit-on…). Roi et higoumène devaient certainement avoir besoin l’un de l’autre : le roi faible qui recherche l’appui d’un prêtre puissant ; le prêtre ayant pour obligé un monarque, pour l’attribution de prébendes. La mort de saint Gervais, alors évêque de Besançon, entraînera ipso facto la nomination de Claude à la fonction épiscopale. Désigné ainsi malgré lui, il ne portera que quelque temps la mitre, préférant aux lourdes obligations que la vie séculière de l’époque imposait aux prélats, le calme du couvent, propice à l’étude, à l’enseignement et à la méditation. À l’Abbaye de Saint-Oyend-de-Joux, il enseigne la règle de saint Benoît. Très âgé et pris de faiblesse, il demande à être transporté une fois encore en la cathédrale de Besançon. Assis sur le trône épiscopal, il lève les bras au ciel et meurt.
Au-dessus des deux évocations principales, quatre cartouches évoquent, inspirés par l’évangile selon saint Luc***, des épisodes de la vie de Jésus : l’Annonciation, Jésus devant les docteurs de la Loi, Jésus devant Pilate, la crucifixion.
L’intrados est orné de petits fragments décoratifs, d’épisodes divers tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament (Moïse, les trompettes de Jéricho, l’adoration du Veau d’or, l’Annonciation…), mais également de scènes évoquant l’Antiquité romaine, peut-être…
C’était tout pour 2012.
Juin 2013… je n’y tiens plus ! Je dois retourner dans “ma” chapelle****, y entreposer encore échelles et pigments, pinceaux et jerricans d’eau. J’ai encore tant à lui dire…
Paul Conte, Octobre 2013 (à suivre, sans doute…)



* Cette idée est toujours présente en filigrane dans la Lettre du Pape Jean-Paul II aux artistes du 4 avril 1999.
** « C’est en 1695 que l’évêque de Vence, Mgr Cabannes de Viens consacra cette chapelle, laquelle venait d’être édifiée sous la co-fondation de Charles Raymond et de Claude Barcillon dont les prénoms ont motivé la double titularité attribuée au sanctuaire. Ces deux personnages qui appartenaient à des familles de notables saint-paulois avaient constitué un capital en prévision de l’entretien et de la desserte de leur chapelle… »
René Vialatte.
Gazette de Saint-Paul n°77
*** Pourquoi saint Luc ? Parce qu’il est le patron des peintres et des médecins (saint Charles…) ; parce qu’il est le compagnon de voyage de saint Paul et que nous sommes à Saint Paul de Vence. Parce qu’enfin saint Luc est, selon la tradition l’auteur des Actes des Apôtres. Cette dernière qualité me semblant, et de loin, l’emporter sur les autres pour l’illustrateur avide de sujets.
**** Lors de l’inauguration de mes modestes décorations, le 4 novembre 2012, jour de la fête de saint Charles, monsieur le Curé, et monsieur le Maire de Saint Paul de Vence m’ont fait le grand honneur et l’immense plaisir de me remettre officiellement la clé de la chapelle, me permettant ainsi le libre accès à un des lieux où ma vie artistique affirma un sens.