Et maintenant, cela doit se fêter, ici-bas

Une fois accompli, l’événement sera commémoré en grande pompe, à la mesure de son invraisemblable nature, c’est à dire avec la foule et le faste, les bruits, la musique et les couleurs que méritent le silence et le vide. “On y tient, pensez donc ! Puisqu’on vous le dit, c’était ici, à cet endroit … Voyez, il ne reste rien, c’est bien la preuve …”. 

C’est à ce lieu déserté, du moins déserté normalement, comme tous les autres lieux, rendu à la banalité commune, que la mémoire impose un retour.

L’occupation massive lui prêtera un temps l’importance qu’il eut jadis, un jour, le fameux jour. Ce jour où il devint pour un temps bref et brutal, le théâtre de l’indicible, où le surnaturel avait décidé de se donner en spectacle, de raviver l’effroi et la piété.

Pour le moment donc, ici et pas ailleurs (je l’ai précisé, le décor est souvent insignifiant), au jour dit – un anniversaire approximatif, fixé par la tradition, le bouche à oreille des siècles – on s’assemble. Et avant tout, il faut y venir. Quelques temps et la réunion des groupes solitaires forme une foule, un cortège, marchant vers le lieu, ainsi que dans les crèches. Peu à peu il rejoint d’autres cortèges, plus homogènes peut-être, ceux des corps constitués, plus habitués à la progression linéaire, à la précision horaire et dont la structure obéit aux règles de la représentation.

Si, pour ressembler à un cortège, la foule se contente d’aller dans le même sens – c’est déjà pas si mal, un cortège de fait – l’autre, cortège de droit, s’enorgueillit d’imiter la pratique militaire de l’alignement en ordre rangé, du respect de la hiérarchie et des distances, de suivre un protocole qui ménage et les grades et les effets. Alors, aux mouvements des pèlerins que seules la ferveur et la direction de la marche rendent cohérents, s’agglutinent, succèdent où se mêlent l’ordonnancement d’un défilé précédé de la parade des porte-drapeaux et du pas obstiné des souffleurs de trompe. Ceux-ci ont les joues tendues et le bras haut comme pour diriger le son plus fort et plus près de l’oreille des résidents célestes, leur rappeler en quelque sorte leur condition primitive d’humains, les sortir d’un éventuel assoupissement que favorise certainement la contemplation opiniâtre d’un seul autre. Ceux-là, les porte-drapeaux, en offrant parfois de la surface mouvante de leurs fardeaux malaisés le décor artificiel d’un rideau de scène, mettent sur l’épaule la hampe enrubannée, et la calent devant eux du contrepoids de leur avant-bras afin de trouver un équilibre confortable. (Ces drapeaux-là sont faits de tissus larges, longs qui empêtrent ceux qui les portent, en entravent quelquefois la marche, claquent au vent et obéissent à l’air jusqu’au premier obstacle qu’ils moulent avec l’impudeur et l’application d’un vêtement humide).

Enfin, il faut savoir que, la première fois, jamais le divin n’arrive où on l’attend : le lieu et, bien évidemment, les modalités de l’intervention, tout est tenu secret jusqu’au jour J ! Après on implorera son retour puis, peut-être même, on élèvera des basiliques, comme pour insister, mais ceci est une autre histoire.

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