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Paul Conte : Le retour des dieux et des héros

Les peintures de Paul Conte font douter. Classicisme et modernité, ordre et mouvement, profane et sacré, sérieux et humour, ses couples sont ils aussi définitivement contraires, aussi incompatibles que les quatre éléments, la terre et l’air, l’eau et le feu ? Nous n’en sommes plus si sûrs. Paul Conte est il un Moderne chez les Anciens ou un Ancien chez les Modernes ? Ses tableaux sont peuplés de dieux, de héros et de saints sortis des pages d’Homère, d’Ovide, de la Bible ou de Dante : victoires ailées, combats de guerriers sous les murs de l’antique Troie, rencontres d’Antoine et de Cléopâtre, annonciation faite à Marie. Art étrange tout occupé par les personnages, les scènes et les décors de palais romains, des frises et frontons de temples grecs, des fontaines de la Renaissance italienne. Une peinture aussi nourrie de références classiques, pétrie des grands et des beaux textes, des hauts faits et des hauts lieux peut elle ne pas être intellectuelle ? Paul Conte, le Moderne, aurait trouvé chez les Anciens ses consolations aux misères et petitesses de notre siècle. Pourtant ce peuple de dieux, de héros et de saints s’anime sur la toile, maintenant venus d’un temps révolu ou d’une éternité perdue pour revivre en ce siècle. Comme ces peintres disparus et immortels qui semblent avoir vécu dans leur intimité à force de les peindre, Paul Conte pourrait être un Ancien transporté chez les Modernes. On avait cru ces divins personnages ressuscités par un peintre érudit, ils viennent d’abord tout droit de rêves d’enfant. Cet adulte ne s’est jamais résolu à rompre avec l’enfance pour garder un lien privilégié avec le merveilleux et l’imaginaire où s’abolissent les frontières entre réel et irréel, temporel et intemporel.

On serait tenté de voir de l’audace à se placer dans le sillage de tant de maîtres consacrés, de tant d’œuvres célébrées, sanctifiées ou canonisées. Il fallait une vie au bord de la Méditerranée, les voyages en Italie pour s’y risquer. Mais ce n’est pas se risquer que de peindre un univers familier. On pourrait savoir gré à Paul Conte d’avoir restitué la beauté surannée des œuvres du passé. On pourrait le féliciter d’avoir insufflé une nouvelle jeunesse aux sources d’inspiration les plus ressassées. Il nous apporte bien plus : la beauté des êtres ressuscités. On les croyait définitivement fossilisés, reclus dans les musées, les églises et les sites classés. Ils vivaient dans un coin de nos têtes.

Inutile de tenter d’enfermer cette peinture dans un genre. Les définitions affluent pour immédiatement se contredire. L’art, la réussite de Paul Conte c’est l’harmonie des contraires qui marie l’hyperbole et la mesure, le dénuement et la luxuriance, la géométrie et la poésie, les lignes et les masses, les fondus et les contrastes, les clairs et les obscurs. Cette rencontre réussie des contraires pourrait être le fruit d’une grande maîtrise technique et d’abord de l’imagination qui associe les pastels, la plume, l’aquarelle et l’huile. Le cocktail de lignes, de formes et de couleurs explose de beauté.

La beauté expose à la froideur, à la solennité. Elle intimide. Et un peu plus celle des personnages mythiques et donc moins humains. On ne joue pas sur les contraires sans rigueur. Jusqu’au bout, Paul Conte en joue et ne se départit pas d’humour : clins d’œil aux grands devanciers qui l’inspirent, Tiepolo, Daumier ou Fussli ; clins d’œil aux thèmes classiques habilement détournés ; clins d’œil à son art. La grandeur est toujours tempérée par des titres en forme d’avertissement ou de préambule : Etude …, Projet …, Esquisse … comme si l’œuvre ne pouvait être qu’inachevée. Modestie encore. Paul Conte corrige aussitôt par une affirmation péremptoire : “l’esquisse est l’art suprême”. Est il sérieux ? Sans doute pas assez pour prendre trop au sérieux la modestie elle-même. Esquisse, projet ou étude, ces mots signifient encore que Paul Conte entend garder à ses plumes et pinceaux assez de liberté pour ne pas figer le mouvement dans les carcans d’une peinture trop bien léchée, de contours trop bien finis, de teintes trop bien posées. C’est aussi la liberté qu’il entend laisser aux regards en suggérant plus qu’en disant. Aussi colorées, vivantes, prenantes qu’elles soient, ses visions sont tolérantes et stimulantes : elles laissent place à des visions superposées ou parallèles. Ses toiles offrent de la liberté pour d’autres rêves. Elles sont une invitation à les y poser en même temps que les regards.

La louange est devenue marchande, obséquieuse ou pusillanime. Triste et fade au regard des dithyrambes que les Anciens savaient déclamer à la gloire des dieux et des héros. Comme pour s’en défendre par avance, on a inventé un métier au nom inquiétant : critique d’art. Une critique des rêves et des visions, cela a-t-il un sens ? Il faut louer les rêveurs et les visionnaires. Le ciel et la terre se sont vidés de leurs dieux et de leurs héros, peut être restent ils quelques saints. Paul Conte en peuple ses toiles. Ils n’avaient pas totalement déserté. On disait le monde désenchanté. Il reste un enchanteur.

Alain GARRIGOU

Professeur de Science politique , Université Paris X – Nanterre

Photo D.R.

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